Voilà comme promis le premier chapitre.
J'ai conservé la structure narrative du tome 1, à savoir que le narrateur change presque à chaque chapitre. C'est parfois Radu (comme dans ce premier chapitre) et dans ce cas, c'est lui-même qui s'adresse au lecteur. Lorsque ce n'est pas lui, c'est l'auteur qui narre mais en se plaçant toujours du point de vue d'un personnage en particulier, ce qui offre l'avantage de donner des points de vue très différents.
Le principe des flash-backs à répétition déjà utilisé dans le tome 1 a été maintenu, le tout sur 20 chapitres, ce qui devrait donner un roman de 300 pages environ dans la version imprimée.Chapitre 1 – Transylvanie, mai 1477 -La voiture s’ébranla lentement en direction de la porte principale de la forteresse sous le regard dubitatif d’une poignée de proches m’étant restés fidèles.
Je tenais à vivre pleinement les premières heures du long voyage qui m’attendait et au bénéfice de la nuit tombée, j’avais pris place à l’intérieur de la calèche, laissant mes deux lieutenants, Alexandru et Mircea, diriger l’attelage. J’adressai à mes gens des signes de main à travers la petite fenêtre de la porte du fiacre mais ils se détournèrent pour la plupart, se signant en baissant la tête, refusant de me rendre mon regard amical.
Depuis que la vieille Masha (*) leur avait dévoilé ma nouvelle nature, ils me craignaient plus que de raison. Une peur tout à fait injustifiée puisque je prenais grand soin de ne jamais me repaître d’eux mais une crainte bien réelle. Pourquoi dès lors étaient-ils restés au manoir ? J’imagine qu’ils avaient tous des motivations différentes ; l’appréhension de quitter un lieu fortement protégé en ces temps troublés pour certains, la volonté de rester fidèles au Prince de Valachie pour d’autres sans doute.
Je n’avais cependant que faire de leurs frayeurs à cet instant précis car mon esprit bouillonnait à l’idée du voyage périlleux qui m’attendait.
Voyager n’est pas une sinécure pour un vampire savez-vous ? Le danger que représente l’éclat du soleil est bien réel et s’en tenir perpétuellement éloigné ne facilite en rien les déplacements dans un monde à demi bercé de lumière. Par ailleurs, la transe qui s’empare de nous aux heures où l’astre du jour règne en Maître sur la Terre nous rappelle notre incompatibilité totale avec la vie de ce monde aux heures où les hommes y sont le plus actifs.
Ces désagréments nécessitent l’assistance d’humains parfaitement informés sur la nature des nosferatus et particulièrement fiables. Lors de ces premières années de non-vie, j’eu la chance de pouvoir compter sur mon confident et amant Alexandru. Son esprit vif avait rapidement pris la mesure de ma nouvelle nature et il l’acceptait, contraignant même mon autre lieutenant, Mircea, à se plier à mes nouveaux désirs quels qu’ils soient.
(*) Radu Dracula tome 1 « Prenez et buvez, ceci est mon sang » paru chez le même éditeur.
Je les entendais saluer les derniers résidents du château tandis que la voiture approchait de la voute qui surplombait l’entrée principale. Un dernier salut au garde qui attendait pour refermer les lourdes grilles et nous nous engageâmes sur le sentier tortueux descendant vers le col de Borgo, à quelques kilomètres de mon nid d’aigle.
Je pris le temps de profiter une dernière fois du spectacle qu’offrait ce manoir que j’avais fait ériger quelques années plus tôt. Ses hautes murailles crénelées se découpaient dans la nuit où scintillait un croissant de lune et les tours s’élevaient jusque dans la brume tombante. Les hauts sapins qui bordaient le château du côté opposé au précipice qu’il surplombait le rendaient quasiment invisible aux regards indiscrets. Par ailleurs, aucune machine de siège n’aurait pu emprunter le sentier étroit qui constituait le seul accès à la forteresse, la rendant ainsi quasiment imprenable. Je me félicitai une fois de plus du choix stratégique qui m’avait amené à faire bâtir ce nid d’aigle et c’est l’esprit tranquille que je quittai ma tanière.
Après quelques dizaines de mètres, le château disparu entièrement derrière les hauts sapins et nous nous engouffrâmes dans la mer de conifères qui recouvre presque entièrement les monts Birgau dans cette partie sauvage du nord de la Transylvanie. La voiture évoluait lentement en raison de la pente abrupte et de l’étroitesse du sentier volontairement non entretenu. Mes juments connaissaient parfaitement le chemin et mes lieutenants transformés en cochers n’avaient qu’à laisser les bêtes nous conduire à leur allure jusqu’au col de Borgo. Une fois le col atteint, la route deviendrait plus praticable et je priais (mais oui, ça m’arrive) pour que le voyage se déroule sans encombres jusqu’à Jérusalem.
Les premières journées de voyage furent cependant plus éprouvantes que je ne l’avais imaginé. Si j’avais tenu à assister à mon départ du château, obligeant Alexandru et Mircea à se tenir éveillés une partie de la nuit, je ne pouvais décemment les contraindre à effectuer tout ce long voyage en ne nous déplaçant qu’au bénéfice des ténèbres. Qui plus est, en 1477, l’état des routes imposait de les emprunter de jour afin d’éviter les désagréments inutiles qu’occasionnaient les nids de poule, les bandits de grand chemin ou encore les prédateurs nocturnes.
Je dû donc me contraindre à voyager de jour, protégé des éclats meurtriers du soleil dans un cercueil rempli de terre transylvaine et dissimulé dans le faux plancher de la voiture aménagé à cet effet. Le voyage en soit ne fut pas le plus pénible puisque je me laissais journellement envahir par la transe diurne des vampires, mais que les nuits furent longues !
Mes lieutenants respectaient scrupuleusement le plan de route que nous avions établi et chaque soir, eux et les juments se devaient de reprendre des forces et de s’octroyer un repos bien mérité en prévision du lendemain. Il n’en était bien entendu pas de même pour moi dont la non-vie reprend ses droits aux heures où les humains cessent leurs activités. J’avais également besoin de recouvrer des forces et, bien entendu, ça ne se fait pas tout à fait de la même manière pour un vampire que pour un homme.
J’aurais certes pu me contraindre à m’abstenir de l’hémoglobine dont tout nosferatu a besoin pour conserver un aspect à peu près humain, mais une telle privation m’eut contraint à me cacher pendant les quelques heures que je pouvais passer le soir en compagnie d’Alexandru et Mircea. Il est en effet tout à fait possible pour un vampire de se priver de sang pendant une période importante mais ça ne se fait pas sans que notre aspect en pâtisse. Or, la dégradation physique que subit un vampire assoiffé renvoie une image très perturbante pour le commun des mortels ; c’est un peu comme s’ils se retrouvaient face à un cadavre momifié à la peau parcheminée. Or, si cette vision n’a rien d’agréable, elle devient épouvantable s’il s’avère que le cadavre est animé, voyez-vous ?
Je pris donc le parti de me sustenter en privilégiant les fermes isolées où il m’était possible de dissimuler les cadavres aisément. Cette chasse n’était pas sans risques dans ces contrées où les nosferatus ne sont pas tout à fait inconnus de la population et je dus souvent me contraindre à rentrer bredouille, seul face à ma soif et ma déception. Cependant, j’eus parfois la dent plus heureuse si vous me permettez l’expression. J’aurais alors pu me contenter d’un peu de substance vitale et laisser ces solides paysans, ces robustes fermières, repartir à leurs activités avec un léger malaise, seulement, le jeune non-mort que j’étais à cette époque ne possédait pas la maîtrise de soi nécessaire à de telles menues ponctions.
Pour être tout à fait honnête, je m’abreuvais alors comme un jeune loup affamé et l’extase que provoquait en moi le sang bouillonnant me faisait perdre tout contrôle. Pas au point cependant de m’empêcher de reprendre mes esprits une fois rassasié, et grâce à l’ensevelissement systématique de mon gibier, nous parvînmes à rejoindre Bran sans qu’aucune alerte ne soit donnée dans la région à propos des agissements d’un strigoï (*).
Notre voyage se poursuivit sans encombres jusqu’à proximité de Bucarest d’où nous prîmes la direction de Silistra, alors sous contrôle de l’armée ottomane. Quelques brigands tentèrent bien de vouloir s’accaparer notre attelage mais ils ne se présentèrent jamais en nombre suffisant pour venir à bout des guerriers expérimentés qu’étaient Alexandru et Mircea. Nous eûmes même droit à une attaque de nuit lors d’un bivouac en rase campagne et je pris grand plaisir à croiser le fer avec ces gueux aux côtés de mes lieutenants, comme au temps de nos campagnes militaires. Un plaisir cependant amoindri par le fait que je ne pus me sustenter de ces victimes légitimes en présence de mes compagnons. Ils connaissaient certes ma nouvelle nature mais il me semblait inconvenant de l’étaler sans retenue sous leurs yeux.
Arrivés à proximité d’Andrinople, bien au sud de la Valachie, je fus tenté de me rendre dans la propriété où j’avais passé mon enfance avec mon demi-frère Vlad mais je m’en abstins.
(*) un des termes roumains pour qualifier les vampires
J’étais officiellement décédé et dans cette cité, le risque d’être reconnu était trop grand. Les anciens m’avaient vu grandir et même les plus jeunes connaissaient parfaitement les traits du voïvode qui avait vaincu Vlad l’Empaleur. Radu le Bel, comme on m’avait surnommé, avait succombé à la syphilis et il était vital pour moi que personne n’en doute. Etre reconnu mort est tout simplement indispensable à la survie d’un non-mort.
Lorsque nous passâmes le détroit des Dardanelles, les juments manifestèrent des
signes de fatigue évidents et, tenant à poursuivre le voyage avec elles, nous fîmes une halte de trois jours. Constantinople n’était qu’à quelques lieues de la ferme où nous avions trouvé une hospitalité coûteuse mais sûre et je pus me repaître nuitamment du sang turc qui a une saveur toute particulière pour moi. Sans haïr les ottomans autant que mon frère, j’ai toujours entretenu des relations ambigües avec eux, mêlées d’ententes et de tromperies, de promesses et d’engagements plus ou moins tenus. De ce fait, boire leur sang me donnait la sensation de poursuivre dans la non-mort la trahison permanente en laquelle avait toujours consisté ma relation avec les turcs. Comme pour me faciliter la tâche, Alexandru ne s’inquiétait plus de mes sorties nocturnes et les craintes qui l’habitaient lors de notre dernière escapade sur les rives du Bosphore avaient complètement disparu.
Puis nous reprîmes notre interminable périple. L’été s’invita sur les bords de la Méditerranée que nous longions depuis Constantinople et je découvris la douceur des nuits de ces contrées du sud ainsi que le charme propre aux populations locales. Le sang des méditerranéens est souvent beaucoup plus épais que celui des slaves, ce qui en fait un mets de choix pour un être de ma nature.
Les cités d’Antioche et de Tripoli me fascinèrent par la richesse architecturale qu’elles étalaient et je me dis qu’il y avait encore beaucoup à faire pour que Bucarest où j’avais installé la noblesse valaque et transylvaine puisse leur ressembler un jour. Les siècles d’histoire dont ces villes portaient les traces aussi diverses que multiples leur conféraient une authenticité que ne pouvait leur disputer ma propre capitale. Bah… D’autres se chargeraient sans doute de donner un peu plus d’allure à la métropole valaque dans les siècles à venir. J’avais au moins eu le mérite d’en faire la première ville du pays roumain et ça suffisait bien à me donner bonne conscience.
Puis, nous arrivâmes enfin à Jérusalem.
Notre attelage avait beaucoup souffert de ce long voyage et nécessitait plusieurs réparations. Les juments avaient courageusement enduré cet interminable effort et leurs robes noires reluisaient d’une sueur journellement renouvelée, Alexandru et Mircea avaient le teint aussi halé que des turcs, étaient manifestement épuisés, mais nous arrivions en vue de la cité millénaire. Le Dôme du Rocher qui scintillait sous les feux du soleil couchant semblait nous indiquer la voie à suivre et je savais qu’à ses pieds, je trouverai le Saint Sépulcre, le tombeau du Christ, le repaire des moines les plus érudits au sujet du Saint Graal.
Je n’espérais pas que les gardiens du tombeau sacré détiennent le Graal, mon optimisme a ses limites, mais j’osais croire qu’ils soient en mesure de me fournir une piste menant au Sang du Christ que je convoitais. Que Satan convoitait pour être plus exact. Car en fait, qu’étais-je à cette époque si ce n’est un lieutenant de Satan avide de satisfaire son Maître pour échapper à la malédiction dont ce dernier l’avait gratifié ?